Crossing the Chasm ou Pourquoi les gens n'achètent pas votre produit révolutionnaire (Article paru ici écrit par Philippe Silberzahn)
Une rapide recherche des livres de Geoffrey Moore sur les sites des principales librairies en ligne françaises mène au constat suivant : l'homme a disparu, s'il
a jamais été présent; et c'est fort dommage. Moore a écrit un livre inoubliable sur la commercialisation des nouvelles technologies, en particulier des innovations radicales qui
s’appellent Crossing the Chasm. Il a également écrit une suite intitulée Inside the Tornado. Si notre métier, était de proposer des innovations radicales, la lecture de Crossing
the Chasm s'imposerait.
Dans ce livre, Moore part du constat suivant : lorsqu'une entreprise lance un produit révolutionnaire, elle rencontre d'abord un certain succès ; les ventes
décollent, des contrats sont signés avec quelques gros clients ; c'est l'heure des investissements pour une croissance forte. Mais alors que le décollage semble imminent, les ventes stagnent
voire chutent radicalement, entraînant généralement la fermeture de l'entreprise. C'est ce qui est arrivé à des centaines de startups, malgré leurs produits brillants.
Pour résoudre cette difficulté, Moore part de l'analyse du cycle de diffusion d'une nouvelle technologie. Selon cette théorie, un produit innovant est d'abord
acheté par les techno-enthousiastes (les visionnaires). Ceux-là achètent tout ce qui est nouveau pour le tester, par passion. Ils ne sont pas nombreux, mais ils
permettent de mettre au point la technologie. Ensuite, ils passent le relais aux adopteurs précoces ou "stratégiques" (les pragmatiques). Ceux-là adoptent une nouvelle technologie très tôt non
pas par passion, mais pour gagner un avantage concurrentiel. C'est avec eux que l'entreprise mène des projets pilotes, au cours desquels il faut adapter la technologie à leurs besoins les plus
fous. Peu nombreux également, ils ont cependant des budgets, à la différence des techno-enthousiastes. Ils constituent donc la première source réelle de revenu, la première validation marché,
mais leurs projets peuvent n'avoir pas de fin et ils peuvent transformer l'entreprise en SSII, s'éloignant d'un développement générique de la technologie.
Derrière se trouvent les acheteurs "mainstream", c'est à dire conservateurs. Ceux-là n'achètent que des produits mûrs et complets pour
l'entreprise.
L'analyse lumineuse de Moore est la suivante: entre l'acheteur stratégique et l'acheteur conservateur, il n'y a pas une continuité, mais un gouffre, d'où le
titre du livre (chasm = gouffre). Pour le conservateur, l'acheteur stratégique n'est pas une référence valide. Le conservateur, en fait, n'achète que sur un seul critère : la référence. Il
n'achète qu'au leader, car avant tout il ne veut pas prendre de risque. Il forme son opinion lors des réunions professionnelles avec ses collègues d'autres entreprises, et à la lecture de la
presse professionnelle. Si son collègue de l'entreprise X a acheté le produit A, il penchera pour le produit A. Résultat: tant que vous n'êtes pas identifiés par les conservateurs comme le
leader, vous n'avez aucune chance de leur vendre ; mais tant que vous ne leur vendez pas, vous n'avez aucune chance de devenir leader.
On comprend mieux, dès lors, ce qui se passe avec notre entreprise. Lorsqu'elle introduit son nouveau produit, les techno-enthousiastes s'y intéressent. La
nouvelle se diffuse sur le Net, l'entreprise reçoit plein de remarques, suggestions, rapports de bugs, etc. Mais pas encore de vente. Par un gros effort, elle parvient ensuite à convaincre
quelques acheteurs stratégiques, en général des directeurs de R&D, de lancer un pilote. Premiers revenus, premières références. Mais impossible d'aller plus loin : il y a peu d'acheteurs
stratégiques dans une industrie. Les ventes stagnent, même si les projets se déroulent bien. Pour passer à l'étape suivante, il faut convaincre les acheteurs conservateurs, en général les
directeurs d'unités opérationnelles, ou les acheteurs d'entreprise. Une population fort différente des directeurs de R&D ; celle qui vous demande vos trois derniers bilans, votre nombre
d'employés, etc. Comme votre produit est récent, et qu'en général vous êtes une petite startup, le scepticisme est de rigueur. L'acheteur ne peut pas miser sur vous, c'est trop risqué. Avez-vous
peut-être des références solides avec certains de nos concurrents ? Pas des projets pilotes, mais des déploiements réels ? Non bien sûr, vous êtes le premier. Ah! être le premier, la chose qu'un
acheteur d'entreprise craint le plus au monde. Essuyer les plâtres ? Jamais ! L'acheteur ne vous choisira que lorsque vous serez le leader, car alors il n'y aura plus de risque.
Quelle solution ? Tout simple: devenir le leader, et retourner voir le client conservateur. Comment faire pour devenir leader ? Là encore, suggestion géniale de
Moore : réduire votre marché à une micro-niche ; il est évidemment plus facile d'être le leader d'un tout petit marché que d'un gros. Cela revient à dire qu'il vaut
mieux être gros sur un marché minuscule que petit sur un gros marché. Une fois votre marché réduit, vous vous retrouvez à cibler des clients identiques, d'un même groupe (par exemple: les banques
de détail ou les fans de musique Rap). Si vous ciblez les mêmes clients, une vente à l'un servira de référence aux autres, alors qu'une vente à une banque ne pourra servir de référence pour
vendre à un fabricant automobile. Règle d'or donc : focus, focus, focus. L'approche contre-intuitive consiste donc, dans la période de vaches maigres qui suit le succès
initial avec les acheteurs stratégiques, non pas à tirer sur tout ce qui bouge et à s'épuiser à vendre à tout bout de champ, mais à se poser et à identifier le micro-segment cible
idéal, et à y consacrer toutes ses forces. Ce choix se fait naturellement sur la base de vos réussites initiales avec les acheteurs stratégiques en déterminant lequel peut se transformer
en en vente "mainstream". Une fois défini le micro-segment cible, l'approche des acheteurs conservateurs devient plus facile, car ils seront sensibles aux références "valides" de leur milieu que
vous saurez produire. Avec cette approche, le micro-segment est plus facilement conquis. La stratégie consiste ensuite à identifier le segment suivant, qui doit être connexe au premier, et à
répéter l'approche.
En résumé, Crossing the Chasm est une analyse extrêmement fine du marketing de technologies radicales, identifiant les difficultés rencontrées et
proposant des solutions très intéressantes. Le livre est une bible dans le high-tech aux Etats-Unis. Il est dommage qu'il soit si peu diffusé en France.
Analyse par l'équipe "Les @rts outillés" : 2009, réinventer
Si nos seules certitudes pour 2009 se résument à un écheveau d’incertitudes, alors mieux vaut moins prévoir qu’espérer. Même si l’espérance est parfois violente, et la violence toujours
désespérante, comme le rappelle chaque jour les tragédies engendrées par les crises moult fois rabâchées. (citation de Eric Fottorino)
Devant l’ampleur, la complexité et le choc provoqué par cette situation, il est tentant, soit de baisser les bras, soit de proposer des solutions radicales, de lutter contre les maux qu’elle
engendre. Le savoir à sa place dans cet effort : il doit nous aider à proposer des solutions et à en évaluer la pertinence. Nous devons nous attacher à montrer le rôle possible de la pédagogie
dans la lutte contre l’effondrement (le gouffre) en présentant notre méthode expérimentale en productique sur le plateau technique dès maintenant. Cette approche privilégie l’expérimentation
créatrice : elle part du principe qu’il est possible d’améliorer la politique scolaire en essayant de nouvelles approches et en tirant les leçons de leurs succès et de leurs échecs. Nos méthodes
de lutte contre l’effondrement de nos formations sont évaluées par la rigueur tranchante, clinique, des Inspecteurs IEN, IA-IPR et l’inspection Générale.
Idées nouvelles et solutions anciennes sont évaluées sur le terrain, ce qui permet d’identifier les méthodes efficaces et celles qui ne le sont pas. Ce faisant, nous améliorons notre
compréhension des processus fondamentaux qui sont à l’origine de la persistance des échecs rencontrés dans l’Éducation.
Notre petite communauté commet une erreur grave en ne s’attaquant pas de front aux grandes questions, sous prétexte qu’on ne peut y apporter une réponse parfaite.
Il est souvent admis que, lorsque le problème est de taille, les solutions doivent l’être aussi : « Aux grands mots, les grands remèdes. » Et il me parait plus important de proposer des grands
remèdes plausibles que de s’attacher à démontrer en détail et de manière irréfutable la validité d’un argument.
Lorsque j’ai compilé les informations sur « la théorie de diffusion des innovations», mon idée était centrée sur une possibilité d’adaptation de formation vers les
technologies nouvelles, à rechercher par les profs et les étudiants, et les deux types de capacités à acquérir : l’une technologique et répondant à une problématique, la mise en place, dans le
projet élève, d’un nouveau procédé, d’une nouvelle conception, d’une nouvelle machine… La seconde, résultant de la première du fait de son application dans l’apprentissage scolaire (Action,
Rédaction, Exposition), renvoie à l’acquisition d’une compétence qui me tient particulièrement à cœur : sur quelle base un opérateur, technicien ou cadre de 2019 et plus, va-t-il s’appuyer pour
rester « dans le coup » et continuer à être une « force de propositions » dans son environnement professionnel ?
Comme moi, vous vous dites «et pourquoi se limiter à la formation technologique et à la recherche de solutions innovantes en inculquant des principes ou règles de vie (c’est de l’enseignement)
dont notre élève va se servir le reste de son existence ? ». « Pourquoi ne pas faire nôtre de ces règles dans notre métier d’enseignant ? ».
Nous devons nous situer dans cette
première moitié et quand j’écris nous,
je pense tout d’abord à nos élèves,
aux adultes qu’ils vont devenir et
plus égoïstement, à l’ensemble
des enseignants du Lycée La Fayette.
Écrire commentaire