Écrire sur sa pratique pour développer des compétences professionnelles
En Français, les objectifs définis dans les référentiels sont clairs et précis, même s’ils peuvent être complétés par le professeur. Mais nous constatons que les performances habituelles des élèves arrivant en Lycée professionnel, sont loin de correspondre aux compétences définies dans ces mêmes référentiels. A leur sujet, on entend toujours le même refrain : « ils sont nuls en Français, ils savent ni lire ni écrire… » ! Et il est vrai que dans les exercices scolaires classiques (étude de texte, rédaction, dictée, dissertation…) les résultats sont souvent désastreux. Les dictées semblent inutiles, les règles de grammaire revues ou apprises quelquefois en cours sont rarement appliquées par la suite et les textes écrits par ces élèves sont parfois incompréhensibles. Un tel constat ne sert à rien s’il ne débouche pas sur une analyse des causes de l’échec en Français et des mécanismes qui, dès l’enseignement élémentaire, conduisent certains enfants vers le Lycée professionnel. Ce type d’analyse doit nous permettre d’envisager d’autres stratégies d’apprentissage, de les tester, le terme est fort car nous n’avons pas affaire à des cobayes, mais il n’est jamais trop tard pour (bien) faire et un étudiant en classe de TS est là pour acquérir des compétences, à commencer par les bases.
Ce qui nous pose problème dans les référentiels (de Français, de lettres ou d’autres disciplines), ce ne sont pas les objectifs, ce sont les modalités et les critères d’évaluation qui induisent des pratiques pédagogiques détestables et qui sont la manifestation d’une idéologie qui est loin d’être neutre. A l’école, les apprentissages fondamentaux se font en dehors de toute situation de communication réelle, de toute « situation – problème » s’appuyant sur le vécu des jeunes. Les élèves et étudiants de lycées professionnels ou issus de ces mêmes lycées se désintéressent de ce qui se fait, eux qui n’aiment pas parler aux murs, discourir sans raison et manipuler artificiellement la langue. Ce qui aggrave encore les choses, c’est qu’aujourd’hui, et plus que jamais, il existe un véritable divorce entre beaucoup d’enseignants et une bonne partie des enseignés dont les références scolaires et socioculturelles sont totalement étrangères. La plupart des élèves ne savent pas en quoi le système linguistique de l'enseignant diffère du leur (et souvent réciproquement*). Cette ignorance mutuelle ne peut qu’être source d’échec : pratiquer la langue de l’école devient un facteur de l’échec.
Très vite se mettent en place des rapports de « domination – exclusion » et un mécanisme psycho – social qui peut se résumer comme cela : 1) Situation d’apprentissage artificielle défavorisant de nombreux élèves issus de milieux défavorisés socialement et culturellement… 2) Attitude dépréciative chez beaucoup d’enseignants envers ces jeunes… 3) Intériorisation de ces dépréciations par les intéressés… 4) Sentiment d’infériorité (un des facteurs de l’ « impuissance apprise »)… 5) Difficultés et échec scolaire. L’échec est donc un processus de marginalisation et d’exclusion, plus ou moins marquées, qui s’opère. L’élève qui le subit a un statut complètement infériorisé. Il se sent rejeté ou tout du moins n’étant pas à sa place.
*un collègue enseigne les Lettres en seconde année de Technicien Supérieur ERO et, en conseil de classe, déclare qu’il n’y a rien à faire pour améliorer le niveau, que c’était du ressort des enseignants du primaire et secondaire, que lui (prof) est là pour « faire le programme ». Qu’il est vraiment désolé pour eux, que l’échec à l’examen est inévitable mais que malheureusement il ne peut rien faire pour eux. Et que s’ils (les étudiants) sont si mauvais, la responsabilité en incombe aux parents qui n’ont pas su éduquer leurs gamins et donc choisir les bonnes écoles.
« En faisant faire, nous voulons qu’ils puissent dire »
De l’apprentissage du geste et de la situation de travail (l’Action) découle une maîtrise, ou tout du moins, une appropriation d’un dire, d’un parler technique, dans des conditions que les élèves perçoivent comme moins scolaire. La Rédaction et la Communication peuvent valoriser ces acquis et leur permettre, à partir de leur mode d’acquisition, de transmettre leur expérience, leur pensée, de maîtriser ainsi des éléments de la communication sociale. En faisant « faire », nous voulons qu’ils puissent « dire ».
Piaget a montré que l’intelligence n’est pas passive mais active et que l’activité intellectuelle est construction. Je pense même que l’intelligence n’est pas une donnée innée, car à moins de connaître des problèmes neurologiques à la naissance (soignables et corrigeables si détectés rapidement) l’intelligence est une compétence (une valeur) qui s’apprend, se construit et peut s’évaluer dans et en fonction de certaines conditions propres à chaque homme. Dans cette perspective, prétendre transmettre le savoir aux élèves qui n’auraient qu’à écouter et à engranger les connaissances, dans le cadre magistral par exemple, c’est en fait utiliser des méthodes « oppressives et aliénantes » qui mettent et maintiennent les jeunes en difficulté en situation d’échec.
Notre démarche doit donc consister à mettre les élèves (et étudiants) en situation de s’approprier des savoirs, de se « construire » leur savoirs. Cela peut se faire en partant de leur vécu (leurs Actions), de leurs cultures (tout aussi légitime que celle des enseignants : passion pour l’aéronautique, pour les techniques du sport ou l’informatique, fortes expériences du milieu industriel ou commercial lors d’emplois saisonniers, 20 semaines de stage effectuées lors de l’entrée en TS… ) de leurs problèmes, non pas pour les enfermer dans un univers qui a ses aspects aliénants, mais pour aller au-delà, de découvrir autre chose. Cela bouscule nos habitudes pédagogiques. Il nous faut travailler autrement.
Ce n’est certainement pas en étudiant seulement dans des manuels scolaires que les élèves trouveront des réponses aux situations d’apprentissage qui leur font problème (j’écris manuels et je pense aux cahiers, aux copies et aux livres, à tout ce qui s’expose en Lettres et même en Histoire Géo. et qui ne fait « pas sens »). En fait leur vécu est suffisamment riche pour pouvoir éclipser sans difficulté le livre scolaire le mieux conçu et le mieux illustré. Quand ils se sentent impliqués dans ce qui se fait en classe, ces jeunes manifestent une curiosité intellectuelle beaucoup plus grande qu’on ne le dit généralement. De ce point de vue, le manuel scolaire (je n’ose dire le cours de Français…) serait plutôt un repoussoir (qu’il s’agisse des problèmes de lecture, de grammaire ou d’expression).
Partir d’une situation qui pose un problème réel aux élèves, susceptible de les motiver suffisamment pour les faire travailler sérieusement en classe de Français, cela suppose que chaque élève se sente motivé par ce qu’il fait. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi que les jeunes voient clairement les perspectives qui leur sont offertes et participent donc à la définition du projet (technique et pédagogique) réalisé en classe individuellement ou collectivement. Ils doivent donc sentir très vite que le problème posé (ou la problématique dégagée de l’Action) va trouver une solution grâce à leur travail (observation, réflexion et analyse) mais aussi grâce au choix des outils nécessaires à la réalisation du projet. Ce dernier se matérialise dans une production à laquelle chacun aura participé, et qui devient objet de Communication pour d’autres. Dans ce cadre, les élèves cherchent eux-mêmes les outils dont ils ont besoin (le prof, conseil et évaluateur, est un de ses outils) pour devenir producteur de textes et ensuite informateur.
Ainsi, chaque élève sait où il va, par quel chemin, et quels sont les obstacles qu’il aura à franchir. Dans ces conditions, lire, écrire, parler, se documenter, deviennent des Actes chargés de sens puisqu’ils permettent de résoudre de véritables problématiques (situations – problèmes). « A quoi ça sert ce que je fais ? », la question maintes fois entendue en classe ne se pose pas.
Ces Actes de lecture, d’écriture, de parole, s’inscrivant dans des situations de communication réelle, prennent une signification sociale (sa position future dans le tissu industriel) qui oblige l’élève à prendre en charge toutes les contraintes orthographiques, syntaxiques et lexicales imposées par la situation. Ainsi est pris en compte le rapport de nos élèves à la langue et au savoir, condition indispensable à tout progrès en Français.
L’intitulé du chapitre « Écrire sur sa pratique pour développer des compétences professionnelles » est tiré du titre d’un bouquin de Françoise CROS, édité chez l’Harmattan en octobre 2007 dans la série Recherches : Actions & Savoirs. Il est truffé de récits d’expériences vécues et analysées par des enseignants et des éducateurs spécialisés, et mon souhait serait de le faire lire à chacun d’entre vous dans l’équipe pédagogique. Très riche et renfort certain (il tombe à point) quant au bien fondé de la méthode appliquée dans ce que nous avons appelé « Rédaction ».
Je commence par citer quelques aphorismes extraits en vrac du bouquin, j’espère que j’aurais le courage ou tout du moins je trouverais le temps, de compléter cette liste.
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